Ségolène ROYAL, la femme fatale

Où en est votre confrontation judiciaire avec le couple Hollande/Royal ?
Les poursuites sont toujours en cours, on verra aux environs de septembre/octobre si nous allons jusqu’au procès.
La réaction de Ségolène Royal à propos du livre est-elle légitime ?
Non, je ne peux pas dire que cela soit légitime. Ce qui me frappe, c’est que nous avons été très prudentes avec les mots employés. Nous avons également fait attention à ne parler de la vie privée que lorsqu’elle avait des répercussions politiques concrètes. Nous sommes contre la transparence et pour la protection de la vie privée. Chacun a le droit à l’intimité. D’ailleurs, pas besoin de nous, Ségolène Royal a, elle-même, mis en scène sa vie privée. Aujourd’hui, beaucoup de responsables de sa propre équipe reconnaissent que le conflit au sein du couple a été préjudiciable à l’organisation de la campagne. Il était donc légitime de rapporter un certain nombre de faits et de situations. Ce que nous plaiderons s’il y a un procès : la légitimité pour les journalistes de rapporter des événements ayant des effets sur le jeu politique et qui peuvent intéresser les électeurs.
Mais la frontière entre la vie privée et les intérêts publics n’est pas simple à définir ?
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La presse a énormément insisté sur ces révélations aux dépens de l’intérêt réel de votre livre, qui est avant tout un exercice de décryptage d’une campagne politique.
On ne s’attendait pas à ce que ce livre provoque un tel scandale. La vie privée du couple n’était à nos yeux qu’une partie tout à fait mineure du livre. Surtout, nous avons été étonnées de voir que la presse ne nous interrogeait que sur ce sujet. On pensait avoir apporté des informations inédites mais sur d’autres sujets, la technique marketing employée par Ségolène Royal, son interprétation des sondages, l’importance de certains conseillers comme Jean-Pierre Chevènement ou Bernard-Henri Lévy, etc. Paradoxalement, les interviews portaient presque exclusivement sur les passages concernant leur vie privée. Ce qui me laisse penser que la presse est dans une situation paradoxale. Elle combat le fait que l’on parle de la vie privée et en même temps, quand elle voit un livre comme celui-là, il n’y a que ce sujet qui l’intéresse. Je le regrette sincèrement.
On est frappé à la lecture de votre livre par l’absence de débat idéologique au profit d’un tout pour la communication et pour les sondages. Doit-on y voir une nouvelle forme de pratique politique ?
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Son erreur est donc d’avoir voulu faire la campagne en solitaire ?
Son erreur est de s’être isolée du parti alors qu’elle arrivait très tard dans le jeu politique. A partir du moment où elle a été désignée huit mois avant l’élection, le délai était déjà trop court. Elle était vraisemblablement populaire mais restait, à ce niveau, relativement nouvelle dans le champ politique. Le fait de ne pas rallier son camp et de s’isoler était purement et simplement de la folie.
Vous évoquez régulièrement l’importance des sondages dans l’ascension de la candidate socialiste. Pensez-vous qu’ils soient le fait d’une presse de droite qui l’aurait volontairement valorisée pour les primaires aux dépens de Laurent Fabius et de Dominique Strauss-Kahn ?
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L’issue des élections aurait été la même si le couple Royal/Hollande avait réussi à travailler en commun ?
Ils auraient été imbattables. Quand j’ai commencé cette enquête, Royal n’était pas encore désignée mais il était évident qu’elle allait remporter la primaire. A ce moment, je me disais : “Il tient le parti, elle a le charisme et la popularité. A eux deux, ils ne peuvent que réussir.” Un an plus tard, je devais admettre mon erreur. Même si François Hollande a beaucoup aidé Ségolène Royal, leur mésentente, leurs conflits, leur mutisme, les a plombés.
Cette mésentente est-elle liée à des causes privées ?
Ils ont toujours eu une politique divergente. Lui est assez deuxième gauche, social-démocrate et libéral sur le plan des moeurs. Elle, c’est le contraire. Elle est mitterrandiste, dirigiste et très autoritaire, parfois même réactionnaire. Et les conflits conjugaux n’ont rien arrangé.
Pourrait-on résumer la personnalité politique de Hollande par cette phrase de Julien Dray : “Son problème, c’est qu’il ne sait pas tuer” ?
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D’après votre enquête, comment définiriez-vous la candidate Ségolène Royal ?
C’est une étonnante occasion manquée. Elle avait des circonstances politiques extrêmement favorables. Notamment, le fait que la gauche avait été traumatisée par 2002 et que le vote utile pouvait jouer pour ces élections. En réalité, ça n’a peut-être pas marché à cause de son caractère singulier : un immense narcissisme, un coté évangéliste limite irrationnel, une grande solitude dans sa manière de gérer le pouvoir. Mais elle n’est pas la seule à porter la responsabilité de la défaite. L’organisation du PS connaissait aussi de graves problèmes.
Le fait d’être une femme n’a-t-il pas rendu la tâche plus difficile ?
En tant que femme, elle s’est longtemps vécue comme une victime. Ce qui parfois était abusif car le fait d’être une femme lui a très souvent servi. En se vivant comme victime, elle se méfiait de tout le monde, y compris de ceux qui auraient pu l’aider.
Les élections ont-elles été perdues par la gauche ou gagnées par Sarkozy ?
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En définitive, n’êtes-vous pas désespérée des comportements et pratiques politiques actuelles ?
Pas du tout ! On a passé quinze années assez faibles sur le plan des idées. Avec le référendum sur la Constitution européenne et l’élection présidentielle, la vie politique a retrouvé une certaine vigueur avec un engouement réel de la part des citoyens. De débattre autour de la discrimination positive, de la démocratie participative, de l’autorité, de l’héritage de 68, etc., m’a vraiment intéressée. Ce sont des discussions essentielles, à gauche comme à droite. D’ailleurs, Ségolène Royal aura, grâce à ces élections, obligé la gauche à bouger, à rajeunir. Cette aventure va en effet contraindre le PS à se transformer.
Propos recueillis par Thomas Yadan pour Evene - Juillet 2007