Ingrid BETANCOURT : une colombienne qui embarasse la France
Il y a les faits.
Voilà près de 6 ans, le 23 février 2002, Ingrid Betancourt était enlevée par la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) en compagnie de sa complice en politique, Clara Rojas, alors qu'elles tentaient de rallier par la route leur repaire à 600 km au sud de Bogotá. La sénatrice franco-colombienne était en campagne pour la présidentielle, qui vit Alvaro Uribe succéder à Andrés Pastrana. La dernière preuve de vie de la candidate, une vidéo diffusée par la guérilla, date du 31 août 2003.
Et il y a le dessous des faits, que Jacques Thomet, directeur de l'agence de l'AFP à Bogotá de 1999 à 2004, veut porter à la connaissance de «populations abusées par la propagande et le pouvoir de tromperie aux mains des élites qui manipulent l'information» en France. Lui nous dira tout sur une affaire qui «regorge en priorité de dessous de dentelle, et obéit à des conflits d'intérêts personnels au détriment de la raison d'Etat et des deniers publics».
Il commence par déboulonner la statue. Ingrid Betancourt n'est pas une Jeanne d'Arc colombienne, écrit l'auteur, qui en fait un portrait, plutôt rude, de bourgeoise fêtarde qui se pique de politique. Il répète à plusieurs reprises qu'elle «n'est française que par alliance», comme si cette nationalité-là ne valait pas grand-chose. En revanche, il rappelle très justement que les Colombiens furent ébahis, puis irrités, que le livre de Betancourt, la Rage au coeur, se vende aussi bien en France, alors que personne jusqu'alors ne s'intéressait au sort d'un peuple qui vit la guerre civile au quotidien. Trois mille Colombiens, peut-être davantage, sont actuellement otages des guérillas et des paramilitaires.
La thèse de Thomet est que, pour des raisons «de coeur», Paris a surréagi à l'enlèvement d'Ingrid Betancourt tout en prenant des initiatives dangereuses, sans en prévenir Bogota. La maladresse et l'arrogance française, affirme-t-il, n'ont fait que prolonger la détention de l'otage. L'auteur explique «l'impéritie» des Français par l'intervention dans ce dossier du couple Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, et Daniel Parfait, ex-ambassadeur de France en Colombie. Le premier a fait jeunesse avec Ingrid et sa soeur Astrid à Paris, au début des années 80, le second serait tombé sous le charme d'Astrid à Bogotá... Ingrid serait, de par ces liens privilégiés, une otage mieux défendue que d'autres, notamment la Franco-Colombienne Aida Duvaltier dont la mort a été confirmée en 2004. Peut-être. On rappellera simplement que, sans le cas Betancourt et la publicité qui en est faite, on ne parlerait sans doute pas du tout, en France, des otages colombiens.
Son enquête est véritablement intéressante quand elle revient sur la rocambolesque et vaine tentative de récupération de l'otage dans la forêt brésilienne en juillet 2003, ou quand elle se concentre sur les errements de la diplomatie française en Colombie.
Jacques Thomet connaît bien le pays et son livre fourmille d'informations. D'un tel expert, d'un fustigateur de propagande, on aurait donc attendu un ton plus équilibré, et surtout, un portrait moins convenu du président Uribe : or, à propos de l'«idole des Colombiens», il n'est question que de succès et de détails qui alimentent le mythe d'un chef dur à la tâche et consommateur de gouttes homéopathiques. Pas un mot, en revanche, sur sa douteuse indulgence envers les paramilitaires. Ceux qui ternissent son image ? Des «ONG d'obédience stalinienne». Même pudeur sur le plan controversé d'éradication de la coca des Etats-Unis, dit «Plan Colombie», évoqué au passage dans un chapitre sur les marchés de vente d'armes perdus par la France à cause de sa position dans l'affaire Betancourt.
A force d'être à l'écoute des Colombiens, qui, il est vrai, soutiennent largement la politique musclée de leur Président, le journaliste met parfois plus de «coeur» que de métier à défendre leur point de vue.
Publication :26/1/2006